Bon, j’ai demandé à Loe de faire un petit texte sur la pétition relayée au précédent post.
Dans la famille casse-couilles, v’là la mère…
Lo

L’AFEV demande la suppression des notes à l’école primaire.

Quelque peu atterrée par ce coup médiatique, je voudrais clarifier certains détails, et corriger certaines idées reçues.
Le 18ième siècle a connu une grande révolution. Le 19ième en a connu deux autres. En moins de 100 ans, le peuple s’est soulevé par trois fois (1789, 1848, 1871). A chaque fois, la question de l’éducation a fait partie des débats. Pour la mixité, la laïcité, mais pas seulement. La question centrale, à l’époque, faisait l’objet d’un vrai combat : à quoi va servir l’éducation des jeunes ?
A cette question, les réponses sont toutes politiques. Aujourd’hui, quand on dit que l’école est là pour former des élites, on a une impression de consensus. Ce consensus n’existe pas, c’est un mensonge soigneusement entretenu. Pendant la commune de Paris, les communards ont inventé un système non pas d’école pour le peuple mais d’école DU peuple, c’est à dire fait par le peuple pour servir ses propres intérêts. A l’époque, on considère qu’on n’a pas besoin de la bourgeoisie pour enseigner au peuple ce qu’il a besoin de savoir (en conservant par ailleurs le monopole du savoir intelligent propre à reproduire les élites en place), ce qui constitue une position d’avant-garde extrêmement dérangeante. Toujours est-il que pendant quelques temps (peu, car la commune a vite et mal fini), on a vu fleurir des écoles pour tous, sans distinction d’âge, les ouvriers venant se former le soir après le travail auprès d’autres ouvriers. Il faut imaginer que sans programme imposé par la bourgeoisie, les contenus d’enseignement étaient très différents que ce qu’on est habitué à connaître : histoire politique, histoire du syndicalisme, lecture et écriture de textes politiques, mathématiques, connaissance du système de production, du commerce, des rouages financiers…. Pour les enfants, même combat, ils s’agissait de comprendre très bien le monde dans lequel ils vivaient pour pouvoir être en mesure d’agir dessus.

9 ans après la commune, un ministre de l’instruction fut nommé. Il s’appelait Jules Ferry. Je cite très exactement son projet politique : “fermer l’ère des révolutions”. Autrement dit : instruire un minimum le peuple pour qu’il soit employable et surtout donner partout le même enseignement, la même pensée à tous, afin de le plus jamais subir les revers d’un peuple contestataire.
Aujourd’hui, Jules Ferry est un héros, celui qui a permis au peuple de sortir de l’égout intellectuel, culturel et moral dans le quel il était auparavant. Dans tous les livres, tous les manuels scolaires, il n’y a que louanges sur le grand homme.
Certains dangereux gauchistes pensent que le grand homme nous a précipité dans une formidable lessiveuse, dont nous sommes tous les produits, et dont nous ne pouvons plus nous extraire. Ces gens là pensent que le système scolaire français est d’une affreuse cohérence : malgré tous les appels à la vigilance que les sociologues notamment ont lancé, l’école non seulement reproduit, mais accentue les inégalités sociales. Tout le monde sait de façon empirique qu’un enfant de prof n’a pas vraiment besoin de l’école, alors qu’un enfant d’ouvrier ne comprendra jamais pour quoi, même en travaillant beaucoup, il ne pourra pas faire des études aussi longues. Les contre-exemples que nos gouvernants adorent (Rachida Dati…) ne font que renforcer la propagande de l’égalité des chances. L’égalité des chances, ça veut dire chez nous que chacun a le droit d’essayer…. faut pas trop nous prendre pour des cons, quand même.
L’AFEV est une association gentille, qui aide les enfants des pauvres à essayer de tirer leur épingle du jeu, dans un jeu qui n’est pas fait pour eux. Mais si ils y arrivent un peu, ils fermeront leur gueule, ces jeunes, c’est ce qu’on attend d’eux.
Enlever les notes ? d’accord. Pour ma part je n’en ai jamais donné en 13 ans de carrière. Tu parles d’une réforme.
On essaye ainsi de faire comprendre aux enfants qu’on est gentils avec eux. Je suis impressionnée par la radicalité de cette proposition…
Que restera-t-il quand il n’y aura plus de notes ? Toujours le même système qui asservit les individus, leur fait miroiter une culture commune et les mêmes chances pour tous, en priant pour qu’ils y croient un peu et ne se révoltent pas. Il restera la même chose qu’avant, mais en un peu mieux caché sous une bonne couche d’humanisme.
Le combat n’est pas là. C’est le système qu’il faut interroger. Nous en avons le droit. D’autres l’ont fait sans demander la permission !!
Loe

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One Response to La suppression des notes à l’école primaire

  1. philoup dit :

    Merci pour ton post, Loe, dans lequel tu as pris la peine de développer ta pensée et de nous éclairer, notamment sur le fait qu’il n’y ait pas besoin de réforme pour ne pas donner de notes à l’école. Cependant, je doute que ta pratique soit extrêmement répandue en France. Je te suis sur la notion de “propagande” de l’égalité des chances. D’ailleurs, je ne comprends pas comment a pu naître une notion pareille ? C’est un contre-sens total, puisque la chance est le fruit du hasard… Bref, cette notion me semble pour le moins polysémique, pas étonnant que l’on s’en gausse ! Nul doute non plus que cette égalité des chances soit un échec en France. Les inégalités se creusent,
    et l’échec scolaire en milieu dévaforisé est croissant. Alors tu penses que bien sûr, je m’interroge sur ce système qui, tant bien que mal, panse les plaies des inégalités sans vraiment penser une société plus égalitaire, un système dans lequel l’individualisme a remplacé le vivre ensemble, un système de plus en plus injuste… Alors, on a plutôt intérêt à le remettre en question ce système, on en a le droit et même … le devoir (j’aime pas trop cette notion, mais je pense à mes gosses en disant ça !) d’en user et … d’en abuser !
    Phil

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